J’ai bien conscience qu’au moment où j’écris ces lignes, les regards sont tournés vers mille autres angoisses à travers le monde. Hélas, le truc des angoisses, c’est qu’elles cohabitent très bien, que l’une ne met pas l’autre à la porte le temps d’exister, nan nan, ça part en coloc chill, je t’ai laissé un tupperware de spaghettis pour ce soir si tu veux, oh trop sympa pense à prendre tes clés je rentre tard. Alors, je vous écris sur un sujet moins brûlant à première vue, mais attrapez des gants, ça chauffe.
Voici le contexte. Vous avez probablement vu passer cette info cette été : l’administration Trump a décidé de détruire un stock de 10 millions de dollars de contraceptifs, destinés à des pays du Sud, dans le cadre du démantèlement du programme US AID.
Alertées par la presse américaine, plusieurs associations ont proposé de racheter le stock, d’en prendre en charge la logistique : refus radical du côté américain, qui préfère sans trembler perdre des millions de dollars et ajouter à la note plus de 160 000 dollars de destruction.
Un gâchis immense, et un acte politique absolument pas anodin, dans un contexte de coercition reproductive de plus en plus assumé.
Il s’avère que ces contraceptifs étaient stockés en Belgique, et que leur incinération était semble-t-il prévue en France. Résultat : cet été, des associations belges et françaises ont interpellé nos deux gouvernements. En vain.
Bon. J’en arrive à septembre parce que vous avez pas la journée : cette semaine, le New York Times demande à l’administration US si le stock a été déplacé ou détruit. Réponse par communiqué officiel : le stock a été détruit. Sauf que côté Belgique, on se dit hein ? Ah bon ? On vérifie et… non, le stock est toujours là.
L’administration américaine répond ah oui nan zut erreur de communication en effet : le stock est toujours là.
Je ne reviens pas ici sur la décision dégoûtante de destruction de ce stock, ça a été fait ailleurs, mais c’est au communiqué officiel que j’en viens. Car voici les mots de la porte-parole de US AID, que je vous traduis juste après.

« Le président Trump s’engage à protéger la vie des enfants à naître dans le monde entier », dit le communiqué. « L’administration ne fournira plus de contraception abortive sous couvert d’aide étrangère. »
ABORTIVE.
La militante étatsunienne dont je salue le travail Jessica Valenti a énormément travaillé ces dernières années à documenter la façon dont les anti-avortements américains s’y prenaient pour faire avancer et élargir leur cause de merde. (Je ne fais d’ailleurs dans ce post que transmettre sa dernière alerte)
Parmi les stratégies mises en place, il y a notamment le fait de fabriquer puis d’entretenir une confusion entre contraception et avortement, notamment en qualifiant les pilules contraceptives « d’abortifs », comme vient de le faire officiellement l’administration Trump. Le stock situé en Belgique est constitué de pilules, d’implants contraceptifs hormonaux, et de DIU qu’on appelle généralement stérilets. Pour être claire, il ne s’agit donc pas d’abortifs (= qui mettent fin à une grossesse) mais de contraceptifs (= qui empêchent que puisse avoir lieu une grossesse) et l’utilisation à dessein de termes faux n’est pas du tout anodine, elle s’inscrit dans une stratégie de contrôle des corps, et plus globalement dans le fantasme fasciste d’une femme au foyer, machine à bébé à disposition de son mari. Ce n’est pas moi qui l’invente, c’est déjà la réalité. (En France, la mode des « Tradwife » s’inscrit aussi dans ce fantasme d’extrême droite, mais on y reviendra un autre jour)
La ligne est claire : d’abord s’en prendre à l’avortement, puis aux contraceptifs d’urgences en prétendant qu’ils provoquent un arrêt de grossesse, puis à la contraception.
Précisons au passage que les contraceptifs d’urgence ne sont pas des abortifs. La pilule du lendemain retarde l’ovulation, empêchant la rencontre entre spermatozoïde et ovule. Le DIU au cuivre (qui est l’autre option de contraception d’urgence, plus efficace mais plus difficile d’accès) a un effet spermicide. Pas d’abortifs, donc.
Et donc, après, on s’en prend à la contraception (Pilule, DIU, Implant) en la qualifiant faussement d’abortive.
Certains anti-ivg ont déjà commencé à déployer un discours selon lequel la pilule en rendant l’endomètre inhospitalier fait office « d’avortement silencieux.«
Pour conclure, j’ai deux ou trois points à dire là-dessus
- Pour comprendre la différence entre un dispositif qui supprime l’ovulation, un qui supprime la fécondation, un qui agit comme spermicide et un qui provoque un avortement, encore faut-il y comprendre quelque chose. Or la plupart d’entre nous sommes extrêmement mal renseigné-es. Adultes et mineur-es. Qu’est-ce qui pourrait améliorer les choses ? Peut-être une vraie éducation aux droits reproductifs par exemple ? Pas de bol, c’est exactement ce contre quoi luttent les associations réac qui fleurissent comme des petits pains et avec qui nos gouvernements fricotent de plus en plus ostensiblement. D’après Marie Turcan sur Mediapart, notre nouveau Premier ministre Lecornu « ne rechigne pas à s’associer avec la frange « Manif pour tous » de la droite catholique conservatrice. »
- « La France c’est pas les Etats-Unis !! ». Honhon. Mais si les Etats-Unis et la France n’ont pas toujours les mêmes outils pour faire progresser une vision du monde, ladite vision fascisante ne s’arrête pas aux frontières. La montée des extrêmes-droites en Europe qui défendent une vision nataliste et patriarcale est un danger immense pour les droits reproductifs. En France, le terrain est bien préparé : la maltraitance des budgets et des personnels de santé, la promesse de déremboursements de médicaments et les baisses de financement d’associations comme le Planning Familial posent les bases d’un fabuleux parc d’attraction pour fachosphère masculiniste. Arrosez le tout de notre arsenal très franchouille de milliardaires réacs qui rachètent médias sur médias, et le futur n’est pas du tout rassurant. Interrogé sur l’IVG, Pierre-Edouard Stérin, le nouveau Saint-Picsou des réacs, répond « Je préfère parler d’infanticide. Je souhaite son interdiction dès le premier jour de la conception ». Cocorico, hein.
- Et enfin, et ce n’est pas le plus simple.
Je déteste le terrain sur lequel ils nous emmènent. Parce que ce que je viens d’expliquer là, ce qu’ils m’ont forcée à faire, c’est d’expliquer que non-non des pilules c’est pas abortifs, donc ÇA VA. Et je déteste avoir à faire ça, parce qu’en vrai : ET QUAND BIEN MÊME. Je défends tout autant l’accès aux ABORTIFS. Ce n’est donc pas plus ou moins grave. Si je m’emmerde à expliquer, c’est que je pense qu’il est crucial de comprendre de quoi on parle, pour comprendre nos corps, obtenir ou conserver le pouvoir de décider pour nous-même au lieu de subir des grossesses non désirées ou des stérilisations forcées. Pour ne pas se faire embobiner, et surtout pour comprendre leur feuille de route, et qu’il ne s’agit pas de mots choisis par hasard, encore moins d’erreurs, de flous, ni de décisions à la marge : c’est un plan politique qui vise à mettre en place une coercition reproductive au service d’une vision de la place des femmes.
Allez donc bien vous faire cuire le cul.
Cordialement.